Allégorie de la fumeuse égoïste

Dans l’intimité d’un salon, confortablement installés, bien au chaud à l’abri du mois de novembre, des ami·es discutent autour d’un café.
Le jeune homme regrette le bon vieux temps.

— J’ai l’impression de ne pas être en phase avec mon temps, je n’arrive plus à trouver des loisirs qui m’épanouissent.
— C’est triste ce que tu dis.
— Je regrette les bonnes vieilles comédies. On ne peut plus rire de rien, aujourd’hui. L’humour est mort.
— Je ne suis pas d’accord avec toi…
— L’humour est censuré, tout est filtré pour ne vexer personne : les femmes, les noirs, les musulmans, les homos… On n’ose plus ouvrir la bouche.
— Je comprends que tu perdes tes repères. Mais le racisme, le sexisme, l’homophobie et autres sont interdits et punis par la loi, ça fait du mal à certaines minorités. Moi, l’humour sexiste me fait du mal. L’humour sur les grosses me fait du mal et me blesse profondément.
— Oui, mais c’est de l’humour. C’est pour rire. Ce n’est pas ce que je suis vraiment. J’ai besoin d’humour, de bons films et de bonnes blagues qui font rire, qui illuminent un peu mon quotidien.
— Mais rire aux dépens de quelqu’un d’autre, alors que ça lui fait du mal, c’est moche. Il y a de très bon·nes humoristes qui ne se moquent pas des autres. Faire rire de manière encore plus intelligente, c’est génial, non ? On relève le niveau, en plus.
— Mais… et la liberté d’expression, alors ?
— Je comprends ton point de vue. Toutefois, si j’entends des propos blessants, qui peuvent détruire quelqu’un ou le blesser, je ne peux pas rester sans réagir. Ça peut coller à la peau toute une vie. De plus, tu risques des poursuites, c’est mauvais pour toi aussi.
— C’est ton avis. Mais je revendique le droit à l’humour libre. #JeSuisCharlie

La jeune femme soupire. Le regard perdu, elle joue avec l’emballage de son paquet de Camel. Elle attrape son briquet et son cendrier. Elle sort une clope, la glisse entre ses lèvres et tend le briquet devant la cigarette.
Le jeune homme la toise d’un air mi-dégoûté, mi-révolté :
— Tu ne vas quand même pas l’allumer ici ?
— Bah si. Je suis chez moi, j’ai besoin d’une clope, donc je fume. Je me sens tendue.
— Oui, mais ça sent mauvais, ça restera imprégné dans mes vêtements et dans mes cheveux même quand je serai rentré chez moi.
— Bah… une bonne douche et on n’en parle plus. Ça fait 15 ans que je fume, je ne vais pas changer mes habitudes pour toi maintenant. La clope avec le café, c’est connu, ça va de pair.
— C’est égoïste.
— C’est vrai.
— Tu gâches tout avec ce bâton de poison. Tu m’intoxiques, ça nuit à ma santé.
— Bah oui, mais c’est comme ça, tu me connais, je suis une fumeuse et ça ne changera pas. En plus, on est bien là, tranquilles. Je suis chez moi. Déjà qu’on ne peut plus fumer nulle part… D’abord on a interdit la cigarette dans le train, dans les bureaux, ensuite dans les restaurants et les cafés, puis sur le quai de la gare… Je ne peux plus fumer nulle part ! On n’a plus le droit de faire la fête. Et ma liberté individuelle ?
— Peu importe, à partir du moment où tu fais du mal ne serait-ce qu’à une personne, en l’occurrence moi-même, ta liberté n’est plus prioritaire.
— Toi, toi, toi… c’est chez moi, tu peux t’adapter.
— En plus, ça te fait du mal, ça te détruit les poumons, ça coûte cher… Tu devrais arrêter ! Ça te changerait la vie et ça ouvrirait tes perspectives. Tu te fermes des portes à cause de la clope.
— Je sais, mais c’est dur. Je ne suis pas prête. C’est une drogue, tu sais.
— Mais fais-toi aider. On te soutiendra.
— Je sais pas.
— Bon, en attendant, tu veux pas aller fumer sur ta terrasse, histoire de ne pas m’enfumer ?
— OK, ça va, je mets mon imper.

5 ans plus tard, les deux ami·es se retrouvent autour d’un apéro.

— Alors, c’est pas cool d’avoir arrêté de fumer ? Tu n’es plus obligée de sortir dans le froid et sous la pluie quand tu es en manque.
— Ouais, c’est cool. Je suis fière de moi. C’était vraiment dur, c’est une véritable drogue dure, la clope.
— Bravo !
— J’ai vraiment eu du mal, quand même, j’ai craqué 2-3 fois. T’avais dit que tu me soutiendrais…
— Ouais, désolé. Mais t’es pas fière d’y être arrivée seule ?
— Si si ! Tout le monde devrait arrêter. Maintenant, je sais que c’est possible. Mais c’est la chose la plus difficile que j’ai faite.
Allez, un p’tit café ?
— Oui, je veux bien.
— Tiens, au fait, t’as vu la haute fonctionnaire qui a été forcée de démissionner parce que Bouchez voulait qu’elle retire son voile ?
— Ouais ! Elle avait le choix de retirer son voile, personne ne l’a forcée à afficher ses convictions religieuses.
— Mais ça fait partie d’elle et sa liberté individuelle ? Elle a quand même le droit de s’habiller comme elle veut. Elle ne fait de mal à personne.
— Peu importe, c’est comme ça. On ne va pas non plus laisser l’Islam se répandre comme ça au sein des services publics.

La jeune femme avale son apéro de travers.
— Raah, dis, tu veux pas sortir sur ta terrasse, si tu ne peux pas te retenir de dire des choses pareilles ?
— Mais je suis chez moi !
— OK, alors j’me casse.

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